Fatiha, 30 ans, veut ramener de la « fraîcheur » dans notre société

Fatiha

C’est l’histoire d’une jeune femme originaire de Belleroche qui déconstruit les préjugés. Issue d’une famille de 5 enfants, plutôt conservatrice et attentive aux autres, Fatiha trace son propre sillon. A l’adolescence, période où l’on se cherche une identité, elle sort de son quartier, investit le centre-ville pour se sentir « caladoise ». Plus tard, elle part à Lyon puis à Marseille pour ses études de management, avec la soif d’apprendre et de s’enrichir au contact des autres. Elle reviendra à Villefranche avec un fort besoin d’engagement social et citoyen, qu’elle assouvira sur les ronds-points avec les Gilets jaunes, mais aussi en participant au Conseil consultatif des jeunes de la Mission locale.

Fatiha est très sociable et à l’écoute. Elle parle de tout et à tout le monde. Avec un certain courage, elle intervient dans les réunions publiques, elle discute avec les élus, elle échange avec les « influenceurs » de son quartier, et elle interpelle ses voisins sur les questions d’incivilité. Son idéal serait de pouvoir fédérer les gens de bonne volonté, « rafraîchir le monde » comme elle dit, et en finir avec les a priori.

Mais elle a bien conscience que le chemin qui mène à cet idéal est semé d’embûches. Du coté des élus et des pouvoir publics, elle ressent trop souvent de la condescendance, quand ce n’est pas du mépris. Elle prend l’exemple de la fresque sur le pignon du gymnase, pour laquelle l’Agglo a demandé l’avis des habitants sur 2 propositions déjà bouclées et qui n’ont rien à voir avec l’identité du quartier. Pour elle, ce simulacre de concertation alimente un sentiment de défiance. C’était déjà le cas avec le Conseil citoyen mis en place dans le cadre du projet de rénovation urbaine, que les rares habitants du quartier impliqués ont rapidement quitté, faute d’écoute réelle.

Si Fatiha n’hésite pas à reprocher aux habitants de son quartier leur manque d’ouverture, elle ne peut que s’associer à leur amertume de devoir vivre dans un quartier à l’abandon. En 30 ans, la vie sociale s’est délitée, faute de commerces, de services publics, de maison de quartier… Sans compter ces dernières années la question des poubelles qui débordent et des encombrants qui ne sont plus ramassés, donnant à certains endroits des allures de décharge.

Alors bien sûr, il y a ce grand projet de rénovation, avec son cortège de promesses pour un avenir meilleur. Mais à qui cette rénovation va-t-elle vraiment profiter ? Pour les habitants actuels, il y a ceux qui doivent partir, même sans relogement satisfaisant, et il y a ceux qui restent, mais dont les logements ne seront pas réhabilités. Fatiha redoute que la mixité sociale tant vantée soit mise à mal par la construction de résidences sécurisées, entourées de barrières. Elle regrette l’abattage de nombreux arbres, et la concentration scolaire. Elle rappelle que les habitants sont contre la fusion des écoles (comme ils sont contre la construction d’un deuxième collège sur le site du collège existant). Pour sa part, elle aurait voulu qu’on profite de la rénovation pour construire une piscine sur le plateau, ce qui aurait permis aux habitants du centre-ville d’avoir une bonne raison de venir profiter du bon air de Belleroche…

Et puis il y a ce discours moralisateur, qui enjoint les habitants d’embellir leur quartier pour accueillir les nouveaux arrivants ! Comme si les habitants eux-mêmes devaient se débrouiller seuls pour empêcher les dépôts sauvages ou les rodéos ! Fatiha voudrait une politique sécuritaire adaptée, une police de proximité dotée de moyens suffisants et qui fasse preuve de pédagogie.

Curieusement, elle trouve que les pouvoirs publics sont bien plus compréhensifs avec les bailleurs sociaux qui ne respectent pas leurs obligations. L’entretien des abords non réalisés, le chauffage défectueux pendant des mois, l’absence de places de parking « handicapés », les ascenseurs souvent en panne, les dégâts d’un départ d’incendie non traités, les salles de bain moisies et infestées de cafards… Fatiha ne comprend pas que les élus ne les aident pas plus. Elle a récemment intégré le Comité de défense des locataires pour, dit-elle, avoir plus de force face aux bailleurs.

Elle n’hésite pas non plus à ferrailler avec les adjoints de la ville pour obtenir gain de cause. Et de fait, elle a pu constater quelques améliorations ces derniers temps, comme le retour des concierges ou le nettoyage des abords. De nouvelles poubelles ont été installées et leur ramassage a été amélioré, suite aux efforts de l’Agglo. Comme quoi ce n’était pas fondamentalement un problème d’incivilités, comme certains voudraient le faire croire. C’est donc avec une certaine légitimité que Fatiha invite tout un chacun à respecter la vie en communauté et les espaces publics.

Des forces vives et constructives, il n’en manque pas dans le quartier, qui proposent des solutions concrètes pour améliorer le quotidien. Il y a par exemple ces initiatives d’habitants pour le ramassage des mégots ou pour l’installation de points de collecte pour les encombrants car la déchetterie est loin (une pétition en ce sens a recueilli près de 200 signatures d’habitants). De façon plus structurée, il y a ce collectif qui organise des « tables de quartier », ou des associations, comme celles qui aident aux devoirs ou promeuvent la lecture. Fatiha regrette que toutes ces actions ne soient pas mieux coordonnées et ne soient pas toutes également soutenues par la mairie. Elle en est persuadée, d’autres mode de fonctionnement sont possibles, notamment en impliquant la jeunesse.

Fatiha
Fatiha, une autre image de Belleroche

Une chose est sûre, celle qui se qualifie dans un sourire de « vieille jeune », voire « d’emmerdeuse », inspire le respect tout autour d’elle. Elle pourrait même envisager un jour de se présenter à une élection, pour que « tous les caladois soient traités équitablement » et qu’il n’y ait plus de « citoyens de seconde zone ». En attendant, elle essaye à son humble niveau de changer les mentalités. Très présente sur les réseaux sociaux du quartier ou sur les boucles de messagerie entre voisins, elle agit comme un tiers de confiance, pour améliorer le dialogue entre les habitants et les pouvoirs publics. Qui saura l’écouter ?